Notre président de la Confédération

Carrière politique de M. Rodolphe Rubattel

Texte rédigé par M. Lubor Jilek, destiné au Dictionnaire des conseillers fédéraux, NNZ Libro

Rodolphe Rubattel-carrière politique

Rubattel R. Photo 1928    Rubattel R.-dessin 1933 Oszkár Lázár

Commémoration de l’accès à la Présidence de la Confédération de Monsieur Rodolphe Rubattel en 1954

Texte rédigé à cette occasion par Louis Ravenel et Geneviève Mayor en janvier 2004.

Il y a cinquante ans, M. Rodolphe Rubattel, né à Villarzel, son village d’origine, élu conseiller fédéral en 1947, accédait à la présidence de la Confédération pour l’année 1954. Il nous a paru utile de rappeler la vie, la carrière d’un homme qui a fait connaître le nom de Villarzel au-delà de notre région, au-delà de notre canton. Nous n’entendons pas rendre un culte à la personnalité de M. Rubattel, mais simplement nous souvenir et permettre à ceux qui l’ont connu de retrouver quelques images de cette époque. Nous aimerions aussi faire connaître aux plus jeunes la vie, la carrière, d’un homme qui, par sa personnalité, a honoré son village, notre village.

M. Rodolphe Rubattel, fils de Ernest et Lucie née Chuard, est né à Villarzel le 4 septembre 1896 dans la maison paternelle, maison actuellement habitée par Monsieur et Madame Jacques Rubattel ses neveux. Jacques était aussi son filleul. Rodolphe est le troisième de quatre enfants, Eugénie, Alfred, Rodolphe et Gabrielle.

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Rodolphe est le 2e garçon depuis la droite

 

Les premières années d’école primaire se passent à Villarzel. M. Albert Thévenaz, instituteur de 1904 à 1939, eut le petit Rodolphe dans sa classe. Voici ce que cet instituteur confiait au journal L’Illustré : « Rodolphe était un brillant garçon, à l’esprit vif, ouvert. Il n’était pas nécessaire de répéter deux fois les choses ! Certes, il n’avait rien du petit ange rivé à son banc. Il était un tantinet lutin. Très gai, toujours joyeux, il affectionnait surtout les leçons de français et d’histoire. »

Dans l’un de ses discours, Rodolphe Rubattel parle lui-même de son enfance en ces termes : « Enfance heureuse. C’était au temps où nous ne connaissions, l’hiver, ni manteaux, ni pèlerines, où le bois des socques sonnait sur la terre gelée, où le Docteur Schaerer (…) montait de Granges à cheval, où le vétérinaire Bovey, lui aussi,(…) faisait le tour de sa clientèle au trot de sa monture. Je garde, très précis, le souvenir de l’une des premières automobiles qui pénétrèrent au village, celle d’un médecin payernois que l’on apercevait plus souvent sous sa machine que sur le siège. Je revois l’interminable défilé de ceux qui ne sont plus, (…) : le pasteur Kohler, qui nous saluait si gentiment en rentrant de la poste, l’instituteur Prahin, dont les méthodes d’éducation étaient moins douces que celles d’aujourd’hui, le boursier de l’époque, notre voisin Charles Rossier si je ne me trompe, de qui nous recevions aux examens de printemps, vingt, trente ou cinquante centimes, presque une fortune, selon l’âge que nous avions atteint. Je revois tante Sabine dans son magasin, tante Marie, toute blanche, toute menue, que quelques polissons dont j’étais, privaient prématurément (…) des pommes du mois d’août qui mûrissaient à l’Epine. Du Dévin aux Râpes et de Plan à la Cure, j’ai connu deux, trois, quatre et jusqu’à cinq générations, tous les syndics (…), tous les pasteurs et presque tous les maîtres. Ce sont là des attaches qui ne cassent pas(…). »

Après le collège classique cantonal, le gymnase et l’Université de Lausanne, M. Rodolphe Rubattel obtient le titre de Docteur en droit. Pour parfaire sa formation, mais aussi pour prendre une autre orientation, M. Rubattel, fortement attiré par le journalisme, va enrichir sa culture à Paris, puis à Vienne.

Revenu au pays, le jeune Rodolphe est nommé, à vingt-quatre ans, rédacteur en chef de la Feuille d’Avis de Montreux, puis il assume la rédaction de la Tribune et de la Feuille d’Avis de Lausanne.

 

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R. Rubattel lorsqu’il était rédacteur à la Feuille d’Avis de Montreux

Comme tout bon Suisse, comme Rubattel, notre président accomplit son service militaire, dans l’infanterie. Il terminera sa carrière militaire avec le grade de major. A ce propos, l’Illustré relève que « les hommes qui ont servi sous son commandement gardent le meilleur souvenir d’un chef qui savait être ferme avec le sourire. »

En 1930, il effectue un stage au Département fédéral de l’Economie publique, puis il revient au journalisme en tant que directeur de la Nouvelle Revue de Lausanne.

Tirés de la bibliographie de l’Encyclopédie illustrée du Pays de Vaud, nous voudrions vous laisser ces quelques phrases qui apportent un certain éclairage sur la personnalité de M. Rodolphe Rubattel. Je cite : « Fils et petit-fils de Conseillers d’Etat, neveu d’un Conseiller fédéral, Monsieur Rodolphe Rubattel est tellement excédé de l’étiquette de « futur ministre » qu’on lui colle immanquablement, qu’il renâcle longemps dans les allées du pouvoir. C’est qu’il a en lui une incoercible pulsion de non-conformisme et d’indépendance qui freine l’ambition. Le sillon tracé et tout prêt n’est pas pour lui, non plus que le radicalisme de ses pères. Et pourtant la politique le fascine. »
Ce n’est qu’à trente-sept ans qu’il entre réellement en politique. Il est élu député au Grand Conseil vaudois où il siégera de 1933 à 1939 dans les rangs radicaux.

Nouvelle orientation, pendant la guerre. Il se voue à une activité où il se distingue particulièrement : la Direction des hôpitaux universitaires vaudois, de 1939 à 1944.

En décembre 1944, il renoue avec la politique et entre au gouvernement vaudois en prenant la direction du Département de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce. Deux ans plus tard, en 1946, il présidera l’exécutif cantonal.

Un conseiller d’Etat né à Villarzel, cela se fête ! On prépare donc la réception, tant à Villarzel qu’à la gare de Granges. Mais les caprices de la météo en ont décidé autrement, comme le dit M. Nicod, syndic de Granges : « Une petite manifestation était prévue à la gare de Granges-Marnand. La fanfare était de piquet et la poudre aurait parlé, à l’arrivée du train… mais la malice atmosphérique mit obstacle à ce projet. »

On ne sait comment M. Rubattel est arrivé à Villarzel, mais toujours est-il qu’un peu après deux heures, une ovation accueille le héros du jour devant l’Hôtel de l’Ours. La cérémonie officielle est présidée par le député Albert Miéville de Sédeilles. Voici les noms des autorités de Villarzel en 1944. La municipalité comptait alors sept membres :
– le syndic de Villarzel n’est autre que le propre frère de Rodolphe, Alfred Rubattel,
– les municipaux sont
– Frédéric Mayor,
– Julien Rossier, Olivier Cachin,
– William Zahnd,
– Paul Joliquin,
– Marcel Bersier,
– … et encore Albert Bersier, le sympathique et dynamique président du Conseil général, selon le journaliste de la Tribune.
Et, le 11 décembre 1947, sans avoir jamais siégé à Berne, M. Rodolphe Rubattel est élu conseiller fédéral en remplacement de Monsieur Stampfli, démissionnaire. Il assumera la direction du Département de l’Economie publique. Et, comme le relève l’Illustré de l’époque : « La haute direction de l’économie helvétique n’a rien d’une sinécure ! »

Le 12 décembre, lendemain de son élection au gouvernement fédéral, notre bourgeois est reçu officiellement par les autorités cantonales à Lausanne. Il faut rappeler que M. Rubattel est le onzième conseiller fédéral vaudois, le quatrième Broyard après Henri Druey de Faoug, Constant Fornerod d’Avenches et Ernest-Louis Chuard, son oncle, de Corcelles-Payerne.

Quelques jours après, nous ne connaissons pas la date exacte, c’est Villarzel que se met sur son trente et un pour accueillir son conseiller avec tous les honneurs qui lui sont dus, mais avec simplicité, comme le relève la Feuille d’Avis de Lausanne.

Dans son discours à l’église du village, Rodolphe Rubattel évoque ce port d’attache qu’est pour lui Villarzel : « Ici, rien n’a changé les mêmes maisons, les mêmes champs, les mêmes bois, les mêmes ruisseaux (…) ! Les deux cloches sonnent aux mêmes heures. Selon que c’est le vent ou la bise, on les entend du plateau de Trey ou de l’autre bout du village… Les jours de communion, le pasteur entre toujours le premier, suivi des conseillers de paroisse. Ils s’assoient sur les stalles proches de la chaire, après avoir déposé sur la table avec les gestes que j’ai connus aux anciens, la coupe, le vin et le pain couvert d’un linge blanc…

J’ai vu, encore, durer le travail et l’effort… Les maisons ne s’édifient pas toutes seules. Il faut tenir, une-deux générations, se cramponner des années pour avoir le dessus… Parce que les choses sont fortes, les circonstances tantôt bonnes et tantôt hostiles, et qu’il faut savoir les dominer, les tenir pour ce qu’elles valent, ni moins, ni davantage…
Ainsi, avec du jugement, de l’instruction, de la foi, du labeur qu’on ne compte pas, de la conduite, on perfectionne, on renouvelle, on rebâtit, on perpétue la maison et l’on continue, aussi, le pays.

… Le village dont je suis, je lui dois beaucoup, et je tiens à le lui dire. Il fut et il reste le port d’attache d’une existence mouvementée. Il m’a donné du courage. Il m’a réconforté dans les heures difficiles. Il m’a entouré, depuis quelques semaines, d’une tranquille affection. Il me fait l’honneur aujourd’hui de ne pas douter de l’achèvement honorable des travaux qui seront désormais les miens. Ma gratitude s’adresse à tous… Puisse la Providence veiller sur ce village qui se cache parmi ses bois et ses collines et veiller aussi sur ma plus grande patrie… sur l’humanité… »

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Cérémonie à l’église de Villarzel

Le 22 décembre 1953, par 185 voix sur 189 bulletins valables, M. le Conseiller fédéral Rodolphe Rubattel est élu président de la Confédération pour 1954. M. Perret, président de l’Assemblée fédérale, prononce un discours fort élogieux à l’adresse – mais en l’absence ! – de l’intéressé… Tiré des archives fédérales, en voici l’essentiel :

« Bien que Monsieur le Conseiller fédéral Rodolphe Rubattel ne soit pas présent, on me permettra de le féliciter chaleureusement pour sa brillante élection. C’est la preste récompense de sa grande et excellente activité. Il assume une charge écrasante avec une énergie, une clairvoyance, une conscience admirables. L’an prochain, cette tâche sera encore augmentée, sensiblement, de toutes celles qui incombent au président de la Confédération. Puisse notre Parlement la lui faciliter dans toute la mesure du possible et que 1943 ( ?.. nous sommes en 1953) soit pour Monsieur le Président de la Confédération une année féconde et bénie ! (Vifs applaudissements…) »

Et la presse de l’époque ne tarit pas d’éloges. Voici ce que dit l’Illustré :

« Notre nouveau président est la simplicité en personne. Très cultivé, grand amateur d’art, orateur apprécié, il est exactement à l’opposé de l’homme d’Etat démagogue soucieux avant tout de sa publicité personnelle. S’il aime à s’entretenir avec le travailleur de la terre (nombreux sont ceux à Villarzel qui le tutoient), c’est qu’il trouve un véritable réconfort et un enrichissement à ce contact. Affable, cordial, spirituel, très vivant, il ne tombe jamais dans certains travers chers à nombre de politiciens : c’est un homme – qu’il nous pardonne cette appréciation qui le résume admirablement – qui a de la classe. »

C’est une flèche rouge qui, de Berne, transportera notre nouveau président jusqu’à Oron, puis Lausanne, où est organisée la réception officielle par les autorités vaudoises. Une importante délégation accompagne le nouveau président, mais à dominance romande. De nombreux conseillers nationaux et aux Etats vaudois, mais aussi fribourgeois, des colonels commandants de corps, des divisionnaires, des huissiers en tenue d’apparat, rien que du beau monde.

Cinq minutes avant le départ, le train rouge vif, aux vitres brillantes de propreté, vint doucement se ranger devant les invités. M. Rubattel y pénétra le premier. Larges baies, fauteuils rembourrés d’une jolie teinte verte, tournants et réversibles, sol en caooutchouc, salon fumoir avec bar et sièges modernes, radio, tourne-disques, telles sont les caractéristiques de ce train, digne de transporter les plus hautes autorités suisses.

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La flèche rouge

« Bien que frétée par le gouvernement vaudois, la flèche rouge dernier modèle emmenait un contrôleur. Allait-il poinçonner à tour de bras, emporté par la force de l’habitude ? Nenni, il passa bien dans les compartiments, mais ce fut pour faire une démonstration des commodités des fauteuils, les renversant mollement, les tournant, en faisant admirer la forme. On se demande comment il a pu résister au désir de brancher la radio ou de dire quelques mots au micro ! »

Une première halte à Fribourg. « Le mécanicien posa sa flèche au mètre près, c’est-à-dire entre des dizaines de spectateurs retenus par des gendarmes et une fanfare qui, dès l’apparition du train, joua ses airs les plus entraînants. Une table magnifiquement fleurie, et, très helvétiquement, le verre en main, M. Baeriswil, chef du gouvernement fribourgeois, prononça une courte allocution de bienvenue. Monseigneur Charrière s’entretint quelques instants avec Monsieur Rubattel, et, après quelques poignées de mains, quelques vœux émis de part et d’autre, la fanfare entonna l’Hymne vaudois repris en chœur par l’assistance en guise d’adieux.

A Rosé, brusque arrêt. « Encore une réception ? » demanda M. Rubattel. Non, panne de courant, répondit brièvement M. Marguerat.
Dans un convoi chargé des plus hautes personnalités du pays, y compris le « grand chef » des CFF, M. Escher ?… La tension électrique en frémit de terreur et , en un clin d’œil, la flèche repartit. On avait eu chaud !

Prochaine halte, la première sur sol vaudois à Oron. L’accueil est chaleureux, un grand nombre d’enfants, les plus grands portant les drapeaux de toutes les communes du district. Une importante délégation du gouvernement vaudois est venue recevoir son président sur sa terre. M. Lucien Rubattel, vice-président, accompagné des conseillers d’Etat Oguet et Maret, du président du Grand Conseil, M. von der Aa, du chancelier Henry, représentant le gouvernement vaudois. Mais il y a aussi le préfet du district, M. Porchet, les autorités municipales d’Oron, une délégation de gendarmes en grande tenue, sans oublier Radio Lausanne, M. Roger Nordmann enregistra lui-même les fraîches voix des élèves des écoles, s’élevant à l’ombre du château décoré d’étendards. Fanfares, flonflons, quelques brefs discours, des vœux à l’adresse de notre président, mais aussi des fleurs, des fleurs apportées par un couple en miniature. En remerciement, et comme le relève le chroniqueur de la Feuille d’Avis de Lausanne, « le président pencha sa haute taille pour déposer un baiser sur une joue rosie par l’émotion. »

Une foule enthousiaste accueillit Monsieur le président en gare de Lausanne. Tout ce que le canton compte en personnalités était présent. M. Oulevay, président du gouvernement, reçut M. Rubattel, auquel les autorités cantonales, la municipalité de Lausanne, les représentants des autorités judiciaires fédérales et cantonales, de l’Université, du Synode, les représentants de cantons voisins, présentèrent leurs félicitations et leurs vœux.

Un long cortège entraîné par un groupe de vingt-quatre dragons à cheval transporta notre président, fortement applaudi, jusqu’à Montbenon. Combien de personnes assistèrent au passage du cortège ? Le fait est que les trottoirs étaient noirs de monde et, comme le relève le chroniqueur, si le soleil bouda en fin de journée ce spectacle exceptionnel, cela n’empêcha pas les petiots de manifester leur intérêt et les parents leur sympathie à l’endroit d’un homme aussi aimé que M. Rodolphe Rubattel.

Selon le désir de M. Rubattel, c’est en la cathédrale de Lausanne qu’eut lieu la cérémonie officielle de sa réception. La cathédrale avait été sobrement décorée de tentures vertes et blanches qui soulignaient l’harmonie du lieu. Beaucoup de musique, quelques discours, et le message de l’église apporté par un ami de M. Rubattel, le professeur Germont, firent de cette cérémonie un moment intense pour ceux qui l’ont vécue. Et pourtant…

« Le chancelier Henry eut des sueurs froides, hier. Il reçut un coup de téléphone – le matin heureusement – de M. Faller, organiste de la cathédrale, en séjour dans les montagnes neuchâteloises, lui disant en substance : « J’ai vu qu’il y avait des morceaux d’orgue prévus pour la réception de M. Rubattel. Avez-vous besoin de moi, par hasard ? »
On avait oublié de le convoquer… » La journée se termina par une réception au Casino de Montbenon. Plus de 450 convives se retrouvèrent autour des tables dressées pour l’occasio. Un seul discours fut prononcé par M. Peitrequin, syndic de Lausanne.

Extrait de l’Illustré : « Le menu de la réception du Casino fut on ne peut plus démocratique (dans un cadre qui aurait gagné à être expurgé de ses ornements mis en place pour le Nouvel-An…) : ramequins au fromage (deux par personne) – assiette de viande froide – café-liqueur. Les vins blancs venaient de Luins et de Rivaz. »

Et à Villarzel, que se passe-t-il ? Apparemment tranquille, la bourgade se prépare fébrilement à accueillir dignement son président. Dans sa séance du 18 novembre 1953, la municipalité décide de demander au conseil général de nommer M. Rodolphe Rubattel bourgeois d’honneur. Le 11 décembre, lors de la séance d’assermentation des nouvelles autorités communales, séance présidée par le préfet Auguste Nicod, à l’unanimité, le nouveau Conseil général ratifie la proposition de la municipalité en nommant M. le futur président et Madame bourgeois d’honneur de la commune de Villarzel.

Villarzel attendra que les fêtes de fin d’année soient passées, que M. le président ait pu prendre possession de son nouveau fauteuil à Berne. Et, le samedi 16 janvier 1954, c’est l’occasion pour le village de recevoir et honorer son président. Les Rubattel sont de Villarzel depuis 1315, plus de six siècles, cela fait plus de vingt générations. C’est dire que ce nom est ancré dans l’histoire de la commune, la Nouvelle Revue de Lausanne titre même « Quand Villarzel rime avec Rubattel ». Le même journal relève aussi que « lorsqu’il apprit l’hommage que voulait lui rendre sa commune d’origine, M. Rodolphe Rubattel insista pour que ce fût fait le plus simplement du monde, avec le moins de discours et de fanfares possible » Les autorités et les gens de Villarzel ont parfaitement compris ce vœu et c’est dans son respect que se prépare une petite fête sans vains flonflons, mais au cours de laquelle, de tout cœur, – que ce soit sous les voûtes de l’église ou dans l’atmosphère plus détendue du café – ils diront merci, santé et prospérité à celui qui représente les Vaudois avec autant de distinction que d’autorité sous la coupole fédérale…

« Ce samedi 16 janvier s’annonce clément, des nuages passent haut dans le ciel, la neige qui recouvrait la terre quelques jours auparavant a disparu… les sapins dressent un cadre sombre aux maisons, aux belles et grosses fermes, à l’église moyenâgeuse. Le village a fait toilette et, coquet, il a garni ses fenêtres, ses façades de drapeaux, d’oriflammes qui, dans le vent tiède, font un signe amical de bienvenue. » C’est en ces termes que M. Jean-Elie Nicod commence le récit de cette journée dans le Démocrate et Feuille d’Avis du district de Payerne. Nous ne voulons pas vous relater l’article dans sa totalité, aussi nous nous limitons à relever la présence de quelques personnalités. Le gouvernement vaudois est représenté par M. Lucien Rubattel, président en 1954 et M. Oguey, conseiller d’Etat, les municipaux von der Aa et Delay, de Lausanne, Cornamusaz et Givel de Payerne, MM. les syndics et municipaux de la paroisse, MM. les députés Bettex et Fattebert, M. le préfet Nicod et bien sûr les membres de la famille Rubattel, ainsi que cette plus grande famille qu’est la commune de bourgeoisie du président.

La cérémonie se passe à l’église, c’est le pasteur Edmond Pittet qui, au chapitre 30 de Jérémie, a trouvé les paroles qui s’appliquent de façon admirable à cette cérémonie, cérémonie qui, ainsi introduite, prend la forme d’un véritable acte de foi. Après le pasteur du lieu, c’est au tour du syndic M. Frédéric Mayor d’apporter un message de fraternelle amitié à celui qui est le plus grand fils du village. Sans cacher son émoi, M. Mayor laisse parler son cœur pour dire la joie et la fierté de son village, de tous ses habitants. Et c’est un moment particulièrement intense que vit l’assemblée lors de la remise du parchemin paraphé devant notaire et portant les signatures des autorités locales, accordant à M. Rodolphe Rubattel et Madame la Bourgeoisie d’honneur de Villarzel. Le Chœur d’hommes, sous la direction de M. Givel, instituteur, le syndic et ses administrés, le pasteur et ses paroissiens chantent en l’honneur de M. Rubattel l’Hymne à la Patrie de Carlo Boller.

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Après cette cérémonie où seuls le pasteur et le syndic du lieu ont pris la parole, respectant ainsi le vœu de M. Rubattel, c’est à son tour d’exprimer ses sentiments et remerciements. Voici un extrait de son discours, dans lequel une fois encore il dit son attachement à sa terre de Villarzel. « Hommes et femmes de ce coin de pays, ne courbez pas la tête. Relevez-la. Vous participez, et vous le sentez bien, avec les paysans de chez nous et d’ailleurs, à ce qui reste de solide dans un monde bouleversé. Puisse mon village, unique parmi les autres villages, prendre, sans doute, la route de ce siècle dont il ne saurait se tenir à l’écart sans oublier jamais qu’il doit ce qu’il est à une longue tradition de courage, de confiance et de foi. Qu’il se souvienne aussi, aux jours de doute, de ces mots de l’aïeule, somme de la sagesse, et que je veux redire en terminant : « J ‘apprends à travailler aux champs à tous mes enfants. Le papa me l’a recommandé avant de nous quitter de leur enseigner à tous l’agriculture, comme étant le premier et le meilleur état, quand même on les ferait étudier ». Les générations passent, l’état paysan demeure. »

Après ces moments d’émotion dans la petite église du village, tout le monde s’est retrouvé au Café de l’Ours où les dames et demoiselles du village avaient préparé une excellente collation à laquelle tous les invités firent honneur. La salle était joliment décorée par MM. Rossier père et fils, horticulteurs à Marnand, mais originaires de Villarzel. Les enfants des écoles et le chœur d’hommes y apportèrent une note musicale fort appréciée. Il y eut tout de même une brève partie officielle, orchestrée par le syndic Mayor qui permit au préfet du district Nicod et au représentant des députés du cercle de Granges Fattebert de prendre quelques belles envolées oratoires. A ce que m’ont laissé comprendre quelques-uns de ceux qui partagèrent ces moments historiques , ce fut une journée mémorable qui se termina fort tard pour certains.

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La fin de l’année de présidence marquera aussi la fin de l’engagement politique de Monsieur Rubattel. Atteint dans sa santé, il se retire du Conseil fédéral.

Il est aussi important de relever que la tâche du chef du département fédéral de l’économie fut extrêmement difficile durant ces années d’après guerre. Il fallait procéder à la démobilisation de notre économie de guerre, dans le domaine économique il fallait rendre au Parlement ses droits et ses prérogatives, il fallait renouer avec l’extérieur des relations commerciales interrompues pendant ces années de guerre.

Cette année de présidence fut difficile, il eut à prendre des mesures impopulaires, comme la baisse du prix du lait de un centime, il y eut aussi le problème de l’écoulement des vins suisses. C’est cette année-là que l’on baptisa le vin Rubattel, outre-Sarine le Rubatteller ! Pour lui, toucher au revenu paysan, et il faut se retremper dans la conjoncture de l’époque pour le comprendre, était une décision qui l’affectait profondément car il savait que derrière, il y avait l’homme, pour lequel il avait un profond respect.

Après sa retraite du gouvernement fédéral, M. Rubattel se remit à l’écriture, quelques ouvrages témoignent de cette activité. Mais il eut aussi à prendre soin de son épouse, fortement atteinte dans sa santé.

Et, le 18 octobre 1961, il décédait subitement d’une crise cardiaque. C’est dans son village d’origine, près de la tour, ancienne résidence des évêques de Lausanne, que M. Rubattel fut inhumé.

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Pour conclure cette petite partie historique, nous avons choisi une parole d’Edouard Herriot, adressée par M. Peitrequin, syndic de Lausanne, à M. Rodolphe Rubattel lors de sa réception à Lausanne en 1953 : « Tu es un rude laboureur, mais tu as toujours su attacher ta charrue à une étoile. »

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Portrait de M. Rodolphe Rubattel